8 mars 2015

« Vous êtes une féministe, vous »


Il y a parfois des paroles, des mots qui ne nous quittent jamais totalement. Et les mots de ce professeur un peu taquin, un brin provocateur sont de ceux-ci. A l’époque, j’étais un peu interloquée. Ce professeur avait le don pour provoquer les élèves, flirtant savamment avec la limite de l’acceptable, sans pour autant la franchir. Mais je l’ai toujours bien aimé. Il avait cette capacité de cerner les gens avec une finesse remarquable. Je me rappelle m’être questionnée toute la journée. "Vous êtes une féministe, vous"

Feministe. Ce mot malfamé. Non, je ne pouvais pas être féministe…
Pourtant, je crois que ces paroles ont, à l’époque déclenché quelque chose en moi. L’idée même que l’on puisse accorder un mot, coller une étiquette à la volonté de parité homme-femme et à la revendication des droits de la femme était tout simplement impensable pour moi. Ce jour-là, je me rappelle m’être dit : « mais l’égalité homme/femme, c’est normal. Il n’y a pas à être féministe ou à ne pas l’être ». Oui, ce jour-là, je suis descendue de mon petit nuage, et j’ai commencé à ouvrir les yeux.

Je déteste la politique. Et pour être totalement honnête, ça m’est toujours passé au dessus tout simplement car je n’y comprends rien et que tout cet univers me parait bien trop théorique, irréel. Mais plus les années passent et plus je me sens l’âme d’une "militante". L’injustice me touche de plus en plus profondément, et ma nature défaitiste aidant, il m'arrive de désespérer, et de vouloir refaire le monde. Mais je positive, je vous assure, je fais mon maximum.

Pourtant, aujourd’hui, c’est le coeur un peu lourd que j’écris ces mots. Confuse, car pour la première fois je me sens concernée par la journée de la femme. Je me sens concernée du fond de mes tripes. Je crains d’avoir peut-être un peu trop ouvert les yeux, et ce que je vois me consterne. J’ai toujours pensé que la femme avait les mêmes droits que l’homme. L’éducation? L’environnement dans lequel j’ai grandi? Je ne sais pas, mais ça m’a toujours été d’un naturel consternant.


Il est vrai qu’en France, être une femme est beaucoup plus agréable qu’en Inde, au Nicaragua ou au Bangladesh. Mais si sur le papier, le statut de la femme évolue de plus en plus vers le statut de l’homme, en réalité, j'ai le sentiment que les mentalités peinent parfois à évoluer. Et pour cause, depuis que j'ai un corps de femme beaucoup de choses ont changé. 

Je ne peux plus marcher dans la rue, seule sans qu'on me siffle comme on siffle Médor, le gentil labrador. Ou qu'on me klaxonne. Je ne peux plus rentrer chez moi, seule quand la nuit commence à tomber, sans qu'une personne pas très bien intentionnée ne me suive ou me piste dans sa voiture ou à pied jusqu'à chez moi. Je ne peux plus sortir le soir sans avoir parfois, peur pour ma vie. Je ne peux plus prendre les transports en commun ou faire les magasins sans avoir à supporter les regards insistants. Je ne peux plus attendre tranquillement mon tram sans que l'on m'accoste "hé psst mamzell t bonne" en lorgnant dans mon décolleté. Je ne peux plus porter de jupe sans me sentir épiée ou cataloguée d'aguicheuse.

Oui, depuis que je suis une femme, beaucoup de choses ont changé. Depuis que je suis une femme, je suis contrainte de faire face à des situations auxquelles je n'ai pas envie de faire face. Depuis que je suis une femme, je ne me sens plus aussi "libre" qu'avant, bien que je ne me laisse pas écraser. Depuis que je suis une femme, beaucoup de choses se sont compliquées. Et je rêve d'un monde plus juste, pour tout le monde.

Alors, Monsieur, si vous lisez par hasard ces lignes, cette journée me semblait parfaite pour admettre que vous aviez raison et je vous en remercie, du fond du coeur. Aujourd'hui, je suis prête à l'assumer fièrement : Je veux que les mentalités changent. Appelez ça du féminisme ou comme vous voudrez. : je pense que nous devons êtres égaux, car nous le sommes.

Merci également à tous ceux et celles qui font, chaque jour, que les mentalités évoluent. Merci à tous ces hommes et à toutes ces femmes qui se battent pour un monde plus juste et égalitaire. Si le chemin est encore long, celui déjà parcouru l'est encore plus... Merci.

12 commentaires:

  1. Très joli article. Moi aussi j'ai un peu de mal que l'on puisse me dire féministe ...Pourquoi un mot devrait il exister pour désigner celles qui croient en une chose qui devrait juste être normal : l'égalité homme femme. Je ne me sens pas féministe et je ne devrais pas avoir à revendiquer pour qu'une femme reçoive le même traitement qu'un homme mais pourtant je dois reconnaitre que nous sommes encore loin d'une vrai égalité.

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    1. Oui je te comprends. Ce mot a parfois une connotation négative qui n'a pas forcément lieu d'être, on associe souvent féminisme et "haine envers le sexe masculin"... J'ai l'impression que cette image est ancrée dans les pensées encore aujourd'hui, moi la première, avant de m'y intéresser et de faire quelques recherches, j'avais une mauvaise image de tout ça..

      Merci, à bientôt :)

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  2. Bonsoir, j'ai quelques décennies de plus que toi :) j'ai été jeune à une époque où le féminisme commençait à "passer de mode", parce que les filles vivaient dans un monde tellement plus facile que celui de leurs mère qu'elles avaient oublié la nécessité de certains combats.

    Mais quand j'étais jeune, je pouvais me promener dans la rue sans me faire aborder, je pouvais sortir tard le soir, même seule, sans avoir la peur au ventre (bon je n'allais pas dans les coins dangereux... mais les coins dangereux étaient peu nombreux, bien délimités), la seule fois où on m'a embêtée quand j'ai pris mon bus, j'ai flanqué une claque directement au mec qui venait de se permettre de me mettre la main au cul, tout le bus m'a soutenue, et il est reparti attendre le prochain. La question de la jupe ou du pantalon ne se posait pas.

    Au bout d'un certain temps, j'ai quitté la France. J'ai lu de loin des récits comme le tien, j'ai commencé par me dire "elles sont folles", et puis non, devant l'accumulation, j'ai bien dû me rendre à l'évidence : en fait, depuis longtemps, les mentalités dé-évoluent.

    La contraception reste un droit, mais l'avortement quand ça se passe mal, qu'on est hyper fertile, mal informée, prise par surprise, devient de plus en plus difficile, un parcours semé d'embûches. L'égalité des salaires est un mythe, la France est des des pays les plus inégalitaires en Europe, avec plus de 25% d'écart de rémunération moyenne. On a eu une fois une femme premier ministre, pas longtemps, la parité en politique n'existe pas, elle est vue comme un "prétexte" ou une "communication" par ceux qui essayent de la mettre en oeuvre, Ségolène Royal, quand elle a été en campagne, s'est pris des remarques machistes à avoir honte "pour eux" (le fameux "qui va garder les enfants").

    Comme tu le dis si justement, être "féministe" n'est pas une tare, ce n'est pas repoussant ou idiot, c'est simplement être pour l'égalité entre les êtres humains.

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    1. Bonjour,
      Merci pour ce commentaire! Il est toujours très intéressant d'avoir ce genre de point de vue. J'ai aussi la même impression : que les mentalités dé-évoluent, quand mes parents et grands parents me racontent leur jeunesse... J'avais aussi l'impression que tout ça était beaucoup moins monnaie courante (le harcèlement de rue) d'après les dires de mes proches et ton commentaire va dans ce sens. C'est fou quand même et désolant. Parce qu'on a + de droits dans de nombreux domaines, mais les "droits" qu'on avait avant, par exemple : le droit de se ballader sans se faire harceler se dégradent...

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  3. Très bel article !
    Je suis totalement d'accord avec tout ce que tu viens de nous écrire.
    Et non, être " féministe " c'est pas une tare, ça ne fait pas de nous des femens qui iront faire pipi sur toutes les églises.

    Tu as vue la vidéo d'Emma Watson de la conférence He for She ? (: J'ai adoré !

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    1. Tout à fait! Oui, j'ai vu sa conférence à l'ONU et hier en fin d'après midi il y avait un Q&A diffusé en direct sur sa page Facebook, elle était sur un plateau et répondait aux questions qu'on lui posait sur le net et sur le plateau et c'était juste génial! J'ai regardé du début à la fin, c'était vraiment très intéressant...

      Ils ont publié une vidéo enregistrée de ce Q&A si je ne me trompe pas si tu souhaites y voir et que tu comprends bien l'anglais (car ce n'est pas sous titré du tout). J'ai découvert une encore plus belle personne que ce que je croyais, cette fille est géniale :)

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  4. Article parfait en tout point... Moi aussi, un jour j'ai eu le déclic et depuis, je me prends régulièrement des claques et c'est bien désagréable, mais j'essaye de positiver, de voir qu'il y a de plus en plus de gens comme toi et moi, qui ouvrent les yeux, qui militent à leur manière, avec leurs mots...
    Bonne continuation :))
    Bises, Eli

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    1. Merci beaucoup Eli!
      Bonne continuation à toi également, à bientôt :)

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  5. Belle écriture! Ton article est super intéressant.
    Moi aussi, le 8Mars, j'avais envie de crier. De hurler. Nous y parviendrons.
    http://cotidianebyernestine.com/2015/03/08/le-8-mars-cette-journee-de-leurres/

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  6. Très bel article, je me reconnais tant!

    Pas féministe mais engagée dans l'égalité homme-femme! Je reconnais que l'on ne peut pas tendre vers une égalité parfaite, il y a tellement de chose qui font que nous ne pouvons pas être égaux sur tout. C'est ce qui fait nos différences et notre force en tant que femme.

    Mais beaucoup de choses me mettent hors de moi.

    Comme par exemple, je me reconnais dans tes anecdotes. Le regard masculin m'est devenu pesant. Des fois j'ai l'impression que cela vient de moi, que j'ai du mal à accepter ce regard. Et puis des fois je cède aussi. Je préfère sortir le soir en mode camouflage (= pantalon et capuche sur la tête). Et en même temps, je revendique ma féminité dès que je le peux sans me mettre de barrière.

    Espérons que ces comportements dans la rue changent...

    Mes pensées sont un peu désordonnées, désolée!

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    1. C'est tout à fait ça! Parfois je me dis "est-ce moi qui ai unproblème de ne pas accepter ce regard?" mais vraiment, je ne pense pas qu'il s'agisse de comportements qu'il faille accepter!

      A bientôt :)

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